Bader Benlekehal
Après avoir commencé des études pour être vétérinaire, Bader s’est plutôt orienté vers le journalisme mais pas n’importe lequel : il est devenu journaliste essayeur Moto qu’on ne présente plus ! Au départ plutôt réfractaire à l’idée de porter un airbag, il a finalement accepté de franchir le pas avec Furygan : sur route avec un gilet, et sur circuit dans sa combinaison.
Nous avons évoqué avec lui sa pratique de la moto, sa relation avec la chute, ses réticences à porter l’airbag, ce qui l’a fait changer d’avis et surtout sa vision de demain.
01/06/2022 – Photos & Vidéo: Alban Nieroz Studio – Temps de lecture: 10 min
Qui es-tu ?
Je m’appelle Bader Benlekehal, je suis journaliste essayeur moto. Je suis né en Algérie, je suis arrivé en France à l’âge de 12 ans et depuis bientôt 18 ans je fais de la moto et c’est devenu mon métier.
Tu peux nous en dire plus sur ta relation avec la moto?
Je suis arrivé à la moto un petit peu par accident et par nécessité : plus jeune il fallait se rendre au collège et donc mon père nous a acheté des scooters pour nous déplacer. J’en avais pas du tout envie, j’en avais même une peur bleue au début et par la force des choses j’ai appris à conduire cet engin de “dingue” qu’était mon petit 50 cm³ et puis finalement, j’ai pris du plaisir : la notion d’équilibre les sensations d’accélération de freinage j’ai trouvé ça fascinant et petit à petit j’ai voulu en faire mon métier.
Avant ça je préparais un concours vétérinaire mais il y avait cet amour du 2 roues qui me prenait tout le temps la tête et j’avais toujours envie de faire de la moto. J’ai décidé d’être journaliste essayeur moto donc j’ai fait une école de journalisme et ainsi de suite jusqu’à être titulaire donc journaliste essayeur moto. Et voilà depuis 18 ans je passe ma vie dessus des fois dessous ou sur le côté hein parce qu’il m’arrive de chuter régulièrement mais donc voilà je consacre ma vie à ça aujourd’hui c’est ma passion et j’en suis très content.
Justement cette passion t’apporte quelles émotions?
Je ne vais pas être très original mais ce que m’apporte la moto personnellement c’est ce sentiment de liberté et d’exister d’être face aux éléments et finalement d’être responsable de son corps et de ses décisions parce que la moto c’est une belle passion mais c’est une passion qui ne pardonne pas donc on est vraiment responsable de ses actes. Je trouve que c’est ce sentiment de liberté et de responsabilité qui me donne l’impression d’être en vie donc à chaque fois que je suis sur une moto j’ai l’impression de revivre finalement. C’est fort comme mots mais c’est c’est vraiment ce que je ressens moi.
Comment est-ce que tu te prépares pour que cette passion puisse perdurer dans le temps? Ça t’arrive parfois de tester des machines performantes pour faire de la piste, comment ça se prépare ?
Je ne me considère pas comme un pilote, notre métier consiste à essayer tout type de machines dans pleins d’univers, plein de catégories différentes donc la meilleure manière de se préparer à notre métier qui est finalement de s’adapter et de vite être performant sur une moto qu’on connaît pas c’est précisément d’essayer tout ce qui existe donc trail, sportive, roadster, circuit, Offroad donc l’idée c’est de continuer à être curieux, d’essayer tout ce qui existe sur le marché pour avoir cette capacité d’adaptation rapide sur une moto.
Et justement toi qui a cette approche multi-pratiques, quel est ton état d’esprit quand tu vas aller faire du circuit ou quand tu vas sur une route et notamment comment tu évalue les risques derrière?
On répète souvent que, nous, on est journaliste, on est pas pilote donc on fait une distinction entre notre métier, qui est vraiment essayeur, et celui d’un pilote professionnel dont l’objectif est de toujours piloter à la limite.
Parmi tous les environnements sur lesquels on est amené à essayer des motos, j’ai deux préférences évidemment: la route parce que c’est la liberté et c’est un terrain infini de variables et le circuit, ça c’est vraiment mon préféré parce que c’est de la vitesse pure c’est de l’adrénaline et c’est un cadre totalement contrôlé. Paradoxalement c’est sur un circuit où on a le moins de risques parce qu’il n’y a jamais d’obstacle qui arrive en face, on connaît les virages en théorie et c’est vraiment là qu’on peut pousser une moto à sa limite. Donc ma pratique de la moto c’est plutôt sur le circuit et sur la route, les deux cas de figures où je porte l’airbag d’ailleurs.
Ça fait déjà quelques années que tu as démarré ta carrière donc tu as vu les motos évoluer et les équipements évoluer. Quelle est ta vision à ce sujet ?
Ça fait 24 ans que je conduis des deux roues. D’abord en 50, ensuite en 125 à 16 ans, puis a 18 ans la grosse cylindrée ; donc globalement ça fait 20 ans que je conduis des grosses cylindrées et la chance que j’ai c’est que je suis arrivé à une époque où l’équipement moto était déjà excellent c’est à dire qu’on avait déjà des super casques, bottes, gants, les dorsales étaient déjà banalisées et finalement quand on regarde un peu ce qui s’est passé ces 20 dernières années, l’équipement le plus novateur qu’on a vu arriver c’est précisément l’airbag avant ça les équipements s’amélioraient petit à petit sur des petits détails mais la vraie différence, le vrai nouveau truc, c’est l’airbag.
Tu as vu arriver les premiers airbags. Quel regard as-tu eu sur cette arrivée, quels éléments d’objection et quelle critique tu pouvais faire sur cet équipement au départ ? Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
Alors je me souviens encore du premier déclenchement airbag que j’ai vu c’était à la télé et c’était un pilote de Grand prix qui essayait le système Denese je crois il y avait avait ce sac blanc énorme qui s’est gonflé dans le bac à graviers et c’était très impressionnant et ma première réaction c’était waouh OK je pense que ces gars là ils vont avoir de la chance ils vont bénéficier d’un équipement qui va être très performant où ils vont limiter leurs blessures mais avant que ça arrive au grand public et que ce soit accessible financièrement et techniquement il allait se passer beaucoup de temps.
Et puis les années passent et puis on voit ces systèmes qui arrivent il fallait mettre des capteurs sur les motos ou le pilote devait être attaché à sa moto via un fils enfin bref tout ça est assez compliqué et complexe et je voulais absolument pas m’embarrasser moi d’une technologie même de protection qui serait trop compliquée à utiliser.
Puis petit à petit on voit que les pilotes de Grand prix l’adopte de plus en plus, il devient même obligatoire en Grand Prix et on entend qu’il y a de moins en moins de blessures de moins en moins de clavicule.
Donc ma réaction moi au début c’était oui je m’en servirai peut-être le jour où ce sera simple à utiliser et accessible.
Tu te souviens les premiers airbag que tu as porté et parler de l’évolution est ce qui a fait que tu en as porté un
Donc clairement au début j’étais pas prêt à passer l’airbag tant que ce ne serait pas très simple à utiliser en fait parce que on est dans la production audiovisuelle depuis maintenant huit ans on s’encombre de batterie, de câbles, de trucs à synchroniser à charger dans tous les sens et s’il y ’a bien un truc que je ne voulais pas me rajouter c’était quelque chose de compliqué à utiliser et puis on ne fait que descendre et monter de la moto donc avoir un câble sur la moto avec un équipement apparent ça n’avait aucun sens et puis vient ce gilet airbag avec la dorsale intégrée.
Personnellement c’est un petit peu ce qui m’a fait essayer le produit parce qu’avoir un équipement supplémentaire, je n’étais pas pour, et puis esthétiquement c’est pas ça quoi jusqu’à l’arrivée de ce gilet airbag.
J’essaie un déclenchement de démonstration; pour la première fois de ma vie quelqu’un me déclenche le gilet airbag In&motion, c’était Furygan et je sens pour la première fois ce truc se gonfler et la force avec laquelle il se gonfle et la pression m’impressionnent réellement vraiment je suis scotché et je comprends à ce moment-là avec cette force avec laquelle le boudin se gonfle à quel point ça peut être un vrai plus en terme de protection.
Évidemment la chute on essaie tous de ne jamais y penser, de se dire que ça arrive qu’aux autres ça n’arrivera pas, je ferai attention, etc. La réalité de mon expérience c’est qu’on a beau toujours chercher à l’éviter elle arrive toujours quand on ne veut pas donc voilà. J’essaye je prends ce gilet, je l’essaye et je réalise qu’il est techniquement très simple à utiliser qu’il n’y a rien à faire qu’il suffit juste de le recharger et de le porter et il fonctionne et quand bien même on aurait oublié de le recharger et bien, il y a la dorsale et ça c’était l’argument massue pour moi et puis arrive le premier déclenchement…
J’ai une petite fragilité, je ne sais pas trop l’expliquer mais je me casse souvent les clavicules. J’ai de la chance je ne me casse rien d’autre je touche du bois, mais c’est un petit os un peu chiant parce qu’il est assez handicapant et il faut faire de la kiné c’est un peu pénible et du coup je met mon cuir airbag pour faire un essai en hiver avec une sportive, des pneus vieux de deux ans, j’y vais sans couverture chauffante et la sans que je m’y attende première chute. Chute à moyenne vitesse on va dire mais de l’avant de très haut, je tombe je sens l’airbag se gonfler mais j’ai mal qu’est-ce qui se passe? Je me casse la clavicule.
Grosse déception pour moi mais à la fois c’est un équipement de protection qui est censé limiter le risque mais pas l’annuler.
On étudie la chute avec l’équipe d’In&motion qui m’envoie les analyses c’était magnifique un cliché en 3D, ils m’expliquent pourquoi d’après ma chute il était pratiquement impossible que ça ne casse pas : je suis vraiment tombé de tout mon poids sur l’épaule et de très haut et comme je ne m’y attendais pas, parce que c’était une perte de l’avant à très haute vitesse, forcément je n’avais pas préparé mon corps à ça.
Puis arrive donc la chute suivante, pareil perte de vitesse un peu plus rapide à Magny-Cours où j’ai le sentiment d’avoir déjà le sac et là j’ai le sentiment d’avoir déjà l’airbag qui se gonfle avant même que je sois par terre ; et là ce sentiment de sécurité que j’ai m’envahit en réalité je me dis “waouh OK c’est cool il est déjà gonflé si jamais je prends quelque chose, la moto à l’impact ou que je fais des roulés boulés, je sais qu’il y a au moins ça comme équipements supplémentaires”.
C’est fou parce que j’étais passé très vite du gars qui était assez réfractaire à l’airbag réfractaire par un souci de praticité à quelqu’un qui se dit “si je l’ai c’est cool il y a moyen que je me fasse beaucoup moins mal” donc très vite je me suis adapté et c’était assez étonnant pour moi-même.
J’ai commencé la moto il y a une grosse vingtaine d’années, j’ai commencé sur des motos qui n’avait pas beaucoup de technologie voire très peu et j’ai toujours gardé ça un peu comme “un vieux con” si je peux dire : je désactive les ABS dès que je peux en enlevant les fusibles, j’enlève les contrôles de tractions, j’enlève les anti-wheeling parce que c’est générationnel en fait je connais les motos comme ça et j’aime avoir la sensation de contrôle mais très vite, quand on est un “vieux con” on peut garder ça aussi pour l’équipement et c’est ce que j’ai failli faire parce que j’aime bien mon équipement à l’ancienne.
Je sors équipé, je suis très sérieux avec ça parce que je sais à quel point une blessure peut être handicapante mais malgré tout j’aime bien l’équipement simple basique et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai mis du temps à venir à l’airbag. J’avais ce sentiment que ça allait être un peu trop compliqué d’activer désactiver des choses, synchroniser, mettre avec le réseau wi-fi l’airbag pour qu’il se mette à jour et puis, j’ai réalisé que c’était beaucoup plus simple que ça à utiliser et donc petit à petit j’ai réalisé que OK on peut être vieux dans sa manière de piloter une moto et pour autant avancer avec son temps en matière d’équipements. Aujourd’hui, l’airbag c’est une technologie que je considère comme étant passive, on ne la sent que quand elle se déclenche donc finalement on ne la sent que quand on n’en a besoin.
Une moto qui est bourré d’électronique, ça nous perturbe tout le temps, ça gâche un peu le plaisir de pilotage parfois donc, qu’on le désactive je comprends, c’est mon plaisir. En revanche, l’airbag on le sent que quand on en a besoin et c’est vrai que depuis que j’ai eu mon premier déclenchement j’ai énormément de mal à sortir sans donc maintenant ça va être compliqué de revenir en arrière.
Tu croises quotidiennement des motards qui n’aiment pas l’airbag qu’est-ce que tu leur dirais?
Très souvent la première question qu’on me pose c’est: est-ce qu’il se déclenche de manière intempestive ? C’est assez naïf comme question et on me pose particulièrement la question parce qu’on nous voit souvent faire quelques figures des trucs pas très” homologués” : des petites roues arrières, des glisses , des choses comme ça donc sans chuter certains motards se demandent s’ils peuvent le déclencher en faisant des figures.
Moi personnellement ça m’est jamais arrivé je n’ai jamais entendu ça et c’est vrai que je leur réponds toujours: “les gars nous vu ce qu’on fait avec, il ne se déclenche pas sur le moindre wheeling même reposé le plus “salement” possible et je peux vous dire que je suis un expert en reposage de wheeling dégueulasse !
Non jamais de déclenchement non voulu donc c’est surtout ça qu’ils me demandent.
L’autre question qu’on me pose c’est le confort et les contraintes d’utilisation effectivement. C’est un équipement qui est quand même plus épais, il faut le dire, dont il faut s’ occuper – il faut le recharger il y a deux trois petites choses à faire qui sont vraiment anecdotique et je précise toujours anecdotique, parce que je leur dit “recharger l’airbag ça prend deux minutes par compte se remettre d’une fracture d’une clavicule d’une côte ou plus grave que ça, sait on jamais, c’est des mois ou des semaines” donc effectivement je préfère prendre ces deux minutes, je préfère avoir un peu plus chaud l’été parce que oui le gilet est un peu plus épais mais être sur mes deux jambes avoir tous mes os fonctionnels. Donc c’est un compromis que j’accepte de faire
Concrètement aujourd’hui je ne vois pas comment on peut justifier, pour le peu de manutention que ça demande de, ne pas le porter.
Donc pour toi c’est logique de le porter?
Aujourd’hui clairement je peux pas m’en passer.
Quelle est ta vision de demain? De l’évolution de la moto et de la passion qui t’entoure?
Il y a beaucoup de gens inquiets en fait parce que cet objet, la moto, c’est vraiment un objet de passion ; et ils sont tous inquiets qu’on leur vole un peu cette liberté qu’on leur vole leurs sensations , qu’on leur vole les moteurs thermiques parce qu’aujourd’hui il y a les motos électriques qui arrivent et moi j’ai plutôt confiance en fait.
J’ai confiance parce que ça reste des hommes et des femmes qui les fabriquent pour des hommes et des femmes donc des passionnés. Je crois que l’homme est toujours fondamentalement en recherche d’émotions et de sensations donc peut-être que les pratiques vont légèrement évoluer peut-être que les véhicules vont légèrement évoluer mais il y a une chose qui est sure, c’est que on cherchera toujours à fabriquer de l’émotion toujours, toujours.